Paul Eluard, soldat à Mantes-Gassicourt: des mots pour la paix
Paul Eluard, de son vrai nom Eugène Emile Paul Grindel, est né le 14 décembre 1895 à Saint-Denis. Il obtient son brevet supérieur en 1912, mais est contraint d'arrêter ses études pour soigner sa tuberculose et sera hospitalisé jusqu'en février 1914.
Cela ne l'empêche pas d'être mobilisé au front lors de la déclaration de guerre avec l'Allemagne à l'été 1914. Ce qui lui vaut de connaître les premiers massacres, quand les fantassins français chargent en rase campagne, baïonnettes au canon, en pantalon et képi rouges, face aux mitrailleuses allemandes. Il participe également à la Bataille de la Somme (juillet-octobre 1916) où la mort décime également l'infanterie française. Il va donc déclamer dans ses poèmes, durant ce premier conflit mondial, toute l'horreur de la guerre.
Bataille de la Somme: soldats français s'élançant d'une tranchée
Extraits:
Me souciant d'un ciel dévasté
De la pluie qui va nous mouiller
Je vais pensant au grand bonheur
Qui nous saisirait si nous voulions.
Le devoir et l'inquiétude
Partagent ma vie rude.
(C'est une grande peine
De vous l'avouer)
Ca sent la verdure à pleine nez.
Sur plein ciel, en plein ciel, le vol des hirondelles
Nous amuse et nous fait rêver...
Je rêve d'un espoir tranquille.
La Station-magasin s'occupe aussi du bois et du charbon pour le chauffage des armées, du fourrage des chevaux et de l'essence pour les véhicules à moteurs.
Avant la guerre, un officier et un sous-officier, avec femmes et enfants, habitent à proximité de cet établissement dans le village de Gassicourt. Ils commandent une compagnie de la 22e Section des commis et ouvriers militaires et administration (COMA), formée par des appelés effectuant leurs 3 ans de service militaire.
Or, à mesure que la guerre décime les rangs des régiments et prend de l'ampleur, tous les hommes valides des COMA partent pour le front. Ils ne restent dans les Sations-magasins que des territoriaux, des soldats en convalescence ou trop traumatisés pour rejoindre les combats. Et comme les bras manquent toujours, on y adjoint des prisonniers de guerre et des journaliers de la région, plus quelques travailleurs venus des colonies.
Mais cet afflux de militaires et de civils travaillant pour la Station-magasin, célibataires en grande majorité, entretient une certaine nuisance dans le village de Gassicourt fort de 2 141 habitants. Surtout, cela intervient entre la Station-magasin et la gare de Mantes-Gassicourt, le long du chemin de fer. Dès lors, le 25 novembre 1914, le maire règlemente la prostitution : « Les débitants et tenanciers des maisons de débauche sont tenus de demander une autorisation […] avant de recevoir régulièrement des femmes de mœurs légères ; ceci permettra d’ailleurs de les astreindre pratiquement aux visites sanitaires obligatoires. »
On retrouve Paul Eluard soldat dans cette Station-magasin à l'été 1918. Il s'est marié le 21 février 1916 avec Helena Diakonovac, une intellectuelle russe qu'il surnomme Gala. Ils ont un enfant et le 11 mai 1918, Paul Eluard écrit à l'un de ses amis : « J'ai assisté à l'arrivée au monde, très simplement, d'une belle petite fille, Cécile, ma fille ».
La forte personnalité, l'impétuosité, l'esprit de décision, la culture de la jeune femme impressionnent Éluard qui prend avec elle son premier élan de poésie amoureuse, un élan qui se prolongera dans tous ses écrits.
En juillet 1918, Paul Eluard fait éditer dans les imprimeries du Petit Mantais appartenant aux frères Beaumont, Poêmes pour la paix, tirés à 400 exemplaires. Il en adresse à des personalités parisiennes engagées dans la guerre et contre celle-ci, "malgré la censure" écrit-il.
Poèmes pour la paix (1918)
Monde ébloui,
Monde étourdi.
I
Toutes les femmes heureuses ont
Retrouvé leur mari - il revient du soleil
Tant il apporte de chaleur.
Il rit et dit bonjour tout doucement
Avant d'embrasser sa merveille.
II
Splendide, la poitrine cambrée légèrement,
Sainte ma femme, tu es à moi bien mieux qu'au temps
Où avec lui, et lui, et lui, et lui, et lui,
Je tenais un fusil, un bidon - notre vie!
III
Tous les camarades du monde,
O! mes amis!
Ne valent pas à ma table ronde
Ma femme et mes enfants assis,
O! mes amis!
IV
Après le combat dans la foule,
Tu t'endormais dans la foule.
Maintenant, tu n'auras qu'un souffle près de toi,
Et ta femme partageant ta couche
T'inquiétera bien plus que les mille autres bouches.
V
Mon enfant est capricieux -
Tous ces caprices sont faits.
J'ai un bel enfant coquet
Qui me fait rire et rire.
VI
Travaille.
Travail de mes dix doigts et travail de ma tête,
Travail de Dieu, travail de bête,
Ma vie et notre espoir de tous les jours,
La nourriture et notre amour.
Travaille.
VII
Ma belle, il nous faut voir fleurir
La rose blanche de ton lait.
Ma belle, il faut vite être mère,
Fais un enfant à mon image...
VIII
J'ai eu longtemps un visage inutile,
Mais maintenant
J'ai un visage pour être aimé,
J'ai un visage pour être heureux.
IX
Il me faut une amoureuse,
Une vierge amoureuse,
Une vierge à la robe légère.
X
Je rêve de toutes les belles
Qui se promènent dans la nuit,
Très calmes,
Avec la lune qui voyage.
XI
Toute la fleur des fruits éclaire mon jardin,
Les arbres de beauté et les arbres fruitiers.
Et je travaille et je suis seul dans mon jardin.
Et le soleil brûle en feu sombre sur mes mains.
Jean Paulhan, écrivain et soldat lui aussi, les reçoit. Il rencontre Paul Eluard après la guerre et se lie avec lui. Le poète Paul Eluard est né.