RACISME - Mediapart publie dimanche 5 janvier une enquête relevant des pratiques racistes à la sûreté ferroviaire de Montpellier. Il s'appuie sur les témoignages d'Eric (prénom modifié) et de Kamel.

Quand ce dernier arrive à la SUGE (sûreté générale) -une police interne armée ayant pour mission de protéger les voyageurs et le personnel de la SNCF- de Montpellier en juillet 2011, il ressent un malaise, écrit Mediapart. Un malaise général qui s'accentue au fil du temps jusqu'à la réception de ce SMS, le 7 décembre 2012, envoyé par un agent à plusieurs collègues:

"Seine-Saint-Denis: cinq arabes se tuent au volant d’une C5 lors d’une course-poursuite. Le Mirail à Toulouse: un jeune arabe au volant d’une saxo force un barrage de police et se tue. Grenoble: trois maghrébins se tuent à bord d’une DS3 Racing volée. MORALITÉ: vous n’imaginez pas tout ce que Citroën peut faire pour vous".

Alors que la SUGE ne réagit pas après ce SMS, Kamel alerte le déontologue SNCF de la zone Méditerranée. Après ce signal d'alarme, une réunion se tient deux mois plus tard, avec pour thème "la discrimination sur le lieu de travail".

Des chants nazis diffusés dans la gare

On y apprend notamment qu'en 2012, "des propos et des musiques" du groupe néonazi Légion 88 ont été diffusés à plusieurs reprises dans le bureau de la gare de Montpellier, avec, sur l’air de La ballade des gens heureux, ce refrain: "Je te propose une ratonnade, le massacre des sales rebeus".

Mais un autre agent, Eric, qui a pris très tôt le parti de Kamel dans cette affaire, et ayant lui aussi tenté d'alerter sur ces incidents, se voit peu à peu mis au ban par ses collègues et la SNCF.

"J’ai agi comme un humain normal, en pensant que la SNCF allait réagir. Ça a été tout le contraire. Sur place, la hiérarchie m’a pointé du doigt, m’a dit que je salissais le service. On a alerté en plus haut lieu. Mais la direction a préféré protéger ces gens qui ont des comportements antirépublicains", dit-il à Mediapart.

 

La Ligue des Droits de l'Homme, quant à elle, révèle le rapport du déontologue Lucien Démol adressé à la SNCF, après son enquête et une réunion entre les 22 agents de la Suge et leurs 8 dirigeants.

Dans ses conclusions, sont établis « plusieurs actes de manquement à la déontologie et à connotation diffamatoire » au cours des deux dernières années. En voici quelques extraits dans l’ordre chronologique :

  • « En octobre 2010, un agent découvre dans son vestiaire un DVD à tendance pornographique revêtant un caractère homophobe. »
  • « En octobre 2011, une représentation phallique, créée au moyen d’un légume, est suspendue à la porte du DPX (NDLR : chef d’équipe) d’un site. »
  • « Dans la même année, des tranches de saucisson sont déposées dans le casier d’un agent SUGE de confession musulmane. »

En 2012, à plusieurs reprises, « des propos et des musiques » du groupe néonazi Légion 88 sont diffusés dans le bureau de la gare, avec, sur l’air de “la ballade des gens heureux”, le refrain suivant : « Je te propose une ratonnade, le massacre des sales rebeus. » (NDLR : arabes en verlan.)

– Fin 2012, enfin, le SMS évoqué plus haut : « une blague de mauvais goût vantant les bienfaits d’une extermination raciale » selon les mots du déontologue.

Et la Ligue des Droits de l'Homme poursuit:

Au sein du groupe, personne ne prend le parti de Kamel à part Éric, qui sera dès lors lui aussi mis au ban : « Ils m’ont traité comme un traître. Et même lors de la réunion, hormis le déontologue, personne ne m’a épaulé parmi les hauts cadres de l’entreprise. » À Nîmes, une pétition est même affichée en soutien à l’auteur du SMS. « J’étais face à tous ces cons, dos au mur. J’ai encore du mal à l’exprimer aujourd’hui, mais j’ai failli faire des bêtises, raconte Éric, la voix tremblante. J’ai agi comme un humain normal, en pensant que la SNCF allait réagir. Ça a été tout le contraire. Sur place, la hiérarchie m’a pointé du doigt, m’a dit que je salissais le service. On a alerté en plus haut lieu. Mais la direction a préféré protéger ces gens qui ont des comportements antirépublicains. »

De son côté, Kamel est acculé : « À partir du SMS, Éric et moi avons été frappés d’ostracisme et on nous a diffamés. Quand je vois comment la SNCF communique sur sa charte de la déontologie et ce qui se passe sur le terrain… » Fin janvier, Kamel fait une crise d’angoisse. Il se rend aux urgences, et est hospitalisé un mois pour une cholécystite aiguë, puis arrêté jusqu’en juin. « Pour moi, c’est la double peine. Face à une certaine population (NDLR : issue de l’immigration), quand je dresse un procès-verbal, je suis considéré comme un traître. C’est déjà dur à vivre car je me considère juste comme français, je mets tout le monde sur un pied d’égalité, mais je ne suis pas vu comme ça. Et là, c’est encore bien plus grave : dans mon propre service, dans mon entreprise, on me traite d’une façon intolérable. »

Ce n’est pas tout. Lors de sa venue, le déontologue recueille d’autres témoignages dont il se fait l’écho dans son rapport : « Des confessions d’actes contraires à la loi nous ont été rapportées. Des violences physiques et verbales auraient été commises volontairement lors d’interpellations, à l’encontre d’une certaine catégorie d’individus et notamment de personnes de souche maghrébine (sic). »

Puis, Lucien Demol précise le climat au sein de la Suge de Montpellier : « Des propos diffamatoires sont propagés à l’encontre de ceux qui n’adhèrent pas à ces idées discriminatoires. Un harcèlement est perceptible laissant présager de graves conséquences sur la notion de camaraderie de groupe et sur l’état de santé des agents mis à l’écart. » 

Le Défenseur des droits saisi

Dans son rapport, le déontologue Méditerranée rappelle tous les articles de loi qui pointent ces comportements comme a priori illégaux : l’article 225-1 du code pénal qui sanctionne toute discrimination de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Mais aussi la diffamation en raison de l’origine (article R624-3 du code pénal), les outrages contre les agents publics décrits dans le code des transports (passibles de six ans d’emprisonnement au vu des articles 433-5 et L2242-7). Ainsi que le guide déontologie de la Suge qui affirme que « l’éthique, l’intégrité, la morale, la déontologie sont les concepts de base de l’agent ».

Son enquête établit clairement le nom des agents à l’origine des actes discriminatoires, notamment l’auteur du SMS, un délégué syndical FO-First. Mais le déontologue pointe aussi la responsabilité des chefs qui n’ont pas réagi : « L’implication du manager doit être sans faille dans la lutte contre toutes les formes d’exclusions. (…) Sa recherche d’auteurs d’actes répréhensibles doit être permanente, et les sanctions appliquées à la hauteur de la gravité. »

En clair, il est temps d’agir. Mais que fait la direction de la Suge ? Rien. Que fait la direction de la SNCF ? Elle diligente une nouvelle enquête, menée cette fois par la direction nationale de l’éthique, que Mediapart s’est également procurée. Classée « Confidentiel SNCF », elle est adressée, comme indiqué sur le document, au président de la SNCF lui-même, Guillaume Pepy. Cette nouvelle synthèse confirme tous les éléments, et fait de nouveau référence, entre autres, à la diffusion de « vidéos nazies » et la mise à l’écart des « alerteurs ».

 

Note de ma pomme: Le racisme, autant que la propagation d'idées néonazies, sont des délits punissables par la Loi, comme l'écrit à juste titre le déontogue de la SNCF dans son rapport. Et toute idée nauséabonde de cette facture doit donc être combattue partout et pas seulement dans la bouche de Dieudonné ou pour défendre madame Taubira.

Dans notre société bouleversée et sans plus aucun repère, le jeu politicien actuel n'encourage pas à la clarification. Et sur ce terreau fertile, la peste brune se délecte et puis grandit. La laisser faire, c'est admettre qu'elle est une opinion comme une autre et c'est nier les lois de la République. Pas celles iniques votées pour satisfaire le patronat. Mais celles pour une république sociale, laïque et égalitaire que tout démocrate souhaite du plus profond de son coeur.