11 novembre 1918, le soldat languedocien Auguste Colombier croit en avoir fini
Auguste Colombier est né dans la petite commune languedocienne de La Nouvelle du département de l'Aude, à la fin du 19e siècle. Dans ce village côtier fort de 2018 âmes, l'occitan, la langue maternelle, se parle dans le quotidien de la vie ou au travail; le français est utilisé seulement sur les bancs de l'école, à l'état-civil ou dans les proclamations du garde-champêtre dans les rues.
Jusqu'alors, le jeune vigneron n'avait jamais dépassé les bornes de son bourg natal, hormis pour le conseil de révision qui le déclara apte à devenir soldat. Celui-ci s'était tenu à Sigean, chef-lieu de canton distant de 5 kilomètres et ce jour-là, Auguste Colombier s'y rendit à pied. Il va partir au front en cette année 1917. Mais à cette heure, la Grande Guerre, ainsi dénomme-t-on le premier conflit mondial, s'éternise depuis l'été 1914.
L'enthousiasme effréné, qui avait accompagné jusqu'à la gare, les premiers enfants du pays partant au front, n'est plus qu'un lointain et cruel souvenir. Quand fin avril 1917 Auguste Colombier prend à son tour le train pour partir à la guerre, ses parents et ses trois soeurs sont éplorés sur le quai. Il y a de quoi, 38 Nouvellois sont tombés pour la patrie, dont 15 dans les premiers jours de l'été 1914. Et dans les rues de La Nouvelle, égarés, déambulent blessés et mutilés de guerre dont certains ne survivront pas aux affres subis. Chaque jour ou presque, s'arrêtent en gare des trains de blessés partant en convalescence dans les Pyrénées.
Depuis janvier 1917, les sous-marins allemands torpillent navires de guerre et marchands alliés. Ils arraisonnent des balancelles d'oranges venues d'Espagne. Ils larguent des mines près du littoral, empêchant la petite pêche côtière à la sardine. Dans le village, le charbon et le sucre se font rares. Le 6 mars, on a instauré une carte pour le pain et des queues s'allongent devant les boulangeries, vu que les villages environnants n'ont plus de farine. La gendarmerie intervient souvent pour maintenir un semblant d'ordre. Le 19 mai 1917, les épiceries ne peuvent vendre que 2 kg 500 de pommes de terre par habitant.
Mais le 2 mai 1917, Auguste Colombier entre en guerre contre l'Allemagne dans les rangs du 216e Régiment d'artillerie de campagne. Il est le servant d'un canon de 75, pièce d'artillerie, munitions et soldats tirés par des chevaux. Il sait juste tenir en selle pour s'être hissé quelquefois sur la mule de son cousin au pays.
Pris sous une pluie d'obus, lors de la prépararation d'une offensive ennemie en Lorraine, toute sa batterie est anéentie et lui seul en réchappe, protégé par le cadavre d'une monture. Il est toutefois blessé grièvement en ce 9 juin 1917. Récupéré par hasard par une ambulance, il est soigné et part en convalescence dans l'hôpital militaire de Gap dans les Hautes-Alpes.
Lorsque le clairon annonce le cessez-le-feu le 11 novembre 1918, il est revenu au front en Lorraine. Pour ses faits de guerre, il a été cité à l'ordre du régiment et une seconde fois décoré de la Croix de guerre.
C'est l'Armistice, la victoire de la France contre ces salops de Boches. Auguste Colombier prense être démobilisé et rejoindre les bords de la Méditerranée. Mais l'Allemagne vaincue n'a toujours pas signé le traité de paix et les survivants de la Grande Guerre entre chez elle pour l'occuper. L'artilleur Auguste Colombier se retrouve dans les alentours de Mayence en janvier 1919, capitale de Rhénanie-Palatinat.
Lorsqu'il refranchit la frontière française, avant le 28 juin 1919, date de la signature du Traité de paix de Versailles avec l'Allemagne, et qu'il prend un train pour Marseille, voilà pour lui la démobilisation tant espérée.
Las, le service militaire est de 3 ans même en ce temps de paix. Et dans le très lointain Maroc, les républicains d'Abd-el-Krim s'insurgent contre leur sultan et la colonisation espagnole. Comme ce pays est aussi sous domination française, la France va prêter main-forte à l'Espagne.
Marseille: embarquement sur un vieux cargo allemand prise de guerre. Auguste Colombier longe les côtes et aperçoit le phare de son village natal...
Débarquement dans le port algérien d'Oran, puis transport en camion à Tlemcen toujours en Algérie. Franchissement de la frontière marocaine et arrivée à Bouarfa, localité marocaine où la France exploite les gisements de manganèse depuis 1913. Auguste Colombier devient soldat dans l'Artillerie coloniale.
En 1920, le retour vers la mère-patrie se fait par le parcours inverse. Mais à Marseille, pas encore de démobilisation. Un convoi militaire l'entraîne à Carcassonne, préfecture de l'Aude. Le train ralentit dans toutes les gares et fait des arrêts fréquents. Sur les quais, des soldats en armes. C'est la grève générale dans les chemins de fer qui va se terminer le 22 mai 1920.
Sans le vouloir, le rescapé de la Grande Guerre entre dans l'histoire sociale de la France. Il va se retrouver gardiennant, baïonnette au canon, le tunnel de Castelnaudary jusqu'à sa démobilisation.
Rendu à la vie civile et à la vigne, pour Auguste Colombier, cette guerre est la "Der des Der".
Or, le 11 septembre 1939, marié et chargé de famille, il revêt à nouveau l'uniforme. C'est la guerre contre l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste. C'est sur le front-là qu'il est démobilisé en zone non-occupée le 26 juin 1940, échappant ainsi aux stalags en Allemagne.
La Première Guerre mondiale fut une effroyable boucherie. Les stratèges français vont s'en tenir longtemps à des offensives meurtières. Près de 1,4 million de soldats français périront. C'est aussi des centaines de milliers de mutilés, de gazés, d'aliénés parmi les survivants et plus encore des familles meurtries et endeuillées. La bataille de la Somme, qui prend fin le 18 novembre 1916, laisse un million de morts français et allemands, la bataille de Verdun, le 18 décembre 1916, autant.
Des différents traités de paix, découlant de l'Armistice du 11 novembre 1918, va sortir un découpage colonial du monde, prélude à la Deuxième Guerre mondiale et dont les effets tragiques se font encore ressentir aujourd'hui. Ne l'oublions pas. La guerre de 1914 à 1918 fut une guerre capitaliste, ne l'oublions pas non plus.
Des cimetières aux tombes multiples parsèment les anciens champs de bataille. Et dans chaque commune de France jusqu'au plus petit bourg, s'élève un monument aux morts pour rappeler le sacrifice des "poilus" de la Première Guerre mondiale.
«On croit mourir pour la patrie : on meurt pour des industriels», écrivait Anatole France dans L’Humanité du 18 juillet 1922.
A mon grand-père Auguste