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     "Dix ans, ça suffit", criaient les manifestants lors de ces évènements contre le pouvoir absolu détenu par le général de Gaulle depuis une décennie. Sans remonter au 20 janvier 1946, date à laquelle il donne brutalement sa démission en tant que chef de gouvernement, il faut apprécier comment il est arrivé au pouvoir en 1958 et quelle fut sa politique. Un rappel: il démissionne pour ne pas gouverner avec des ministres communistes et, avec la crise politique ainsi provoquée, il espère instaurer son pouvoir personnel; enfin, il dénie à la CGT, au sortir de la Libération, le droit de se préoccuper de l'avenir du pays et refuse de la recevoir en des termes très hautains.

 

     Vers l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958:

     Depuis l'éviction des ministres communistes en mai 1947, des gouvernements dits de "troisième force", dirigés par la SFIO (le PS à cette époque) ou avec sa participation, dirigent le pays. En cette 4e République, le Président n'a aucun pouvoir, sinon de nommer le président du Conseil (le 1er ministre d'aujourd'hui) élu par l'Assemblée nationale.

    Le 23 janvier 1957, les députés, par 331 voix contre 210, émettent un avis favorable à une Communauté économique européenne, plus communément appelée Marché commun, l'ancêtre de notre Union européenne. Le président du Conseil est le socialiste Guy Mollet. La CGT s'y oppose. Elle dit à cette époque que ce Marché commun sera, avec "la libre circulation des marchandises [...] le déchaînement de la concurrence fondée sur l'infériorité des salaires et de la législation sociale, l'harmonisation par le bas des conditions des travailleurs [...] Son bureau confédéral ajoute que ce système politique européen entraînera "la libre circulation des capitaux, le danger d'évasion des capitaux et même le remplacement de la monnaie nationale par une monnaie unique". Et il conclut:"Le Marché commun signifie donc le danger d'une spécialisation, d'une désinsdustrialisation portant sur des industries ou des régions entières..." Chacun, aujourd'hui, peut mesurer les propos de la CGT sur le marché unique européen que nous connaissons actuellement.

     En 1957, le mouvement ouvrier est divisé dans son analyse. Si le PCF et la CGT s'opposent à cette Communauté européenne, la droite, la SFIO et FO la soutiennent, tandis que la CFTC s'y résigne. Alors, le 1er janvier 1958, le traité de Rome (Allemagne de l'Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) entre officiellement en vigueur. 

     En Algérie, c'est la guerre depuis le 1er novembre 1954. En 1956, dans le document préparatoire à son congrès, l''Union locale CGT de la région mantaise exprime ses craintes: "Par l'action des travailleurs, a été obtenue la fin de la guerre d'Indochine. Aujourd'hui, c'est l'Algérie. combien de nos jeunes vont partir là-bas? Combien de jeunes ménages vont voir avec ces départs la misère s'installer dans leurs foyers? Un milliard de francs est dépensé inutilement dans cette guerre et de lourds impôts seront bientôt à la charge des travailleurs..."

     En France, l'extrême-droite s'agite. Parmi elle, des députés élus en janvier 1956, sous l'étiquette du mouvement poujadiste, dont un certain Jean-Marie Le Pen. Le gouvernement du socialiste Guy Mollet pourrait agir pour une politique de gauche (SFIO, PCF et Radicaux sont majoritaires à l'Assemblée nationale). Mais l'Etat cède aux ultras de la guerre à outrance en Algérie. Le 11 avril 1956, 170 000 appelés du contingent sont envoyés pour combattre. A partir de 1957, 500 000 soldats français opèrent en Afrique du Nord. La guerre a coûté 485 milliards de francs en 1956, elle en engloutit 900 milliards en 1957 et autant l'année suivante; à cela s'ajoutent d'autres chapitres du budget de guerre, soit en moyenne 1 500 milliards par an. En France, la hausse des prix dépasse les 10%. C'est dans ce contexte d'inflation généralisée et de guerre coloniale qu'est signé le traité de Rome.

     En ce début de l'année 1958, des coups de force fascistes ont lieu contre des Bourses du travail, des sièges de syndicats ou contre les locaux des impôts. Ce n'est pas souvent la police qui chasse ces émeutiers, mais plutôt les militants de la CGT. Le 6 février 1958, une bombe éclate à l'Assemblée nationale. Des députés de droite réclament alors un "gouvernement de salut public". Le 13 mars, la police parisienne manifeste contre la République. Les ultras d'Algérie et des chefs de l'armée veulent passer à l'action directe. Le 15 avril, à la Chambre des députés, on demande que le général de Gaulle prenne le pouvoir. Les poujadistes appuient cet appel et Le Parisien, début mai, titre: "Un seul recours: De Gaulle."

     Les colonialistes de tous bords étaient déjà rassurés; à partir de janvier 1957, Massu, à la tête de ses parachutistes, est responsable du "maintien de l'ordre" à Alger. Le 13 mai 1958, les généraux d'Algérie passent à la rébellion ouverte. Dans Alger, un "Comité de salut public", dirigé par le général Massu se substitue au pouvoir régulier. Il lance à la radio un appel au général de Gaulle. La CGT et le PCF lance un appel unitaire d'action contre ce coup d'état en préparation, mais un Comité pour la défense de la République (18 organisations dont la SFIO, FO ou la CFTC) les ignore. Le 16 mai, l'Assemblée nationale vote "l'état d'urgence", mais le gouvernement n'en use pas contre les factieux de France et d'Algérie. Dans une allocution radiodiffusée, le général de Gaulle dit se tenir prêt à former un gouvernement. Le président de la République le pressent à cette charge le 28 mai. Le 1er juin, l'Assemblée nationale le désigne comme président du Conseil par 329 voix contre 224 (tous les députés communistes ont voté contre; 18 radicaux sur 42 et 49 socialistes sur 95 ont aussi refusé cette investiture). L'ancien président du conseil, le socialiste Guy Mollet, entre au gouvernement qui, dès le 4 juin, met l'Assemblée nationale en congé et prévoit une nouvelle Constitution.

 

     Les pleins pouvoirs accordés à Charles de Gaulle:

     Le premier soin du président du Conseil est de tranquilliser les ultras avec le "Je vous ai compris" déclamé à Alger  Et celui qui promettait de mettre fin à la guerre coloniale y affecte 67 milliards de crédits supplémentaires, dès son intronisation. Pour la France, il va soumettre par référendum une nouvelle Constitution de la République. C'est celle qui nous régit actuellement: un parlement croupion et un chef de l'Etat, des armées et de la justice, qui n'a aucun compte à rendre à personne, qui peut dissoudre le gouvernement ou l'Assemblée nationale à sa guise, et en vertu de l'article 16, prendre toutes les mesures qu'il juge, seul, nécessaires.

    La CGT et le PCF sont ouvertement contre. La SFIO appelle à voter OUI, par 2 687 mandats contre 1 076 et 62 abstentions; une scission intervenant, des adhérents forment le PSA, qui donnera naissance au PSU de Michel Rocard. La nouvelle  constitution est finalement adoptée par 79, 25% de OUI contre 20, 75% de NON, le 28 septembre 1958 (70% de oui à Mantes-la-jolie et 73, 5% à Mantes-la-Ville). Des élections législatives suivent le 23 novembre et une majorité fidèle au général se détache. Il était président du Conseil (premier ministre aujourd'hui), il va se retrouver élu premier Président de la Ve République française par les députés.

     Cela ne lui suffit pas, car il tient son élection de l'Assemblée nationale. Il propose un référendum sur l'élection au suffrage universel du président de la République, le 28 octobre 1962. Cette fois, la similitude avec le régime bonapartiste du Second Empire effraie davantage de républicains. Mais le OUi l'emporte avec 62, 25% des suffrages (Mantes-la-Jolie 4 411 oui contre 4 339 non; Mantes-la-Ville 2 359 non contre 2 001 oui).

     Le pouvoir personnel du général de Gaulle est définitivement mis en place. L'Etat gaulliste va servir les représentants des principaux groupes financiers et industriels, comme ceux des grands propriétaires fonciers. De plus, ceux-ci vont être fortement représentés dans le gouvernement et dans toutes les institutions déterminantes de l'Etat.

 

     Prélude à mai-juin 1968:

     Il ne sera pas question ici de décrire la somme des actions de la CGT et ses répercussions locales, de 1958 à 1968, contre le pouvoir gaulliste et le patronat, et pour la paix en Algérie. Ce paragraphe veut plutôt montrer l'actualité sociale qui précède les évènements de mai-juin 1968, évènements que, bien évidemment, la confédération n'a pas prévus. Mais il est tout aussi saugrenu de prétendre que la révolte estudiantine à Paris en fut l'unique déclencheur. En effet, pour autant, avant cette année-là, grèves et actions en tout genre secouent le pays. La CFDT, fondée à partir d'une scission de la CFTC, essaie aussi de trouver sa place dans le paysage syndical français. De toutes les façons, l'on est à des années lumières du journal Le Monde, écrivant le 13 mai 1968: "La France s'ennuie" ou de l'extrême-gauche fustigeant  "une classe ouvrière qui s'embourgeoise".

     En ce début d'année 1967, le ministre du travail déclare "que la réduction du temps de travail ne sera pas envisagée avant longtemps" et Michel Debré, père de la Constitution gaulliste et ex-premier ministre du général annonce "qu'il n'est plus question d'augmenter inconsidérablement les salaires", comme si le pouvoir d'achat des salariés avait fait un bond incommensurable. Il n'empêche, en mars de cette année,  la Cellophane est occupée par les travailleurs pour la première fois depuis 1936 et ses 300 ouvrières postées obtiennent une importante réduction de leur temps de travail. Quant au climat social pour des augmentations salariales, les chiffres du ministère du Travail parlent d'eux-mêmes: 1965, 979 000 journées de grève; 1966, 3 323 000 journées de grève; 1967, 4 200 000 journées de grève.

     Le congrès de la CGT, qui débute le 16 juin 1967, met dans ses mots d'ordre: "la montée des luttes sociales. Le programme commun de gouvernement. La lutte pour la Paix dans le monde". Dans le Mantois, Maurice Quettier, candidat du PCF, est élu député et bat le sortant gaulliste. En juillet, les luthiers de Selmer débrayent massivement pour leurs salaires.

     En avril, le président de la République voulait dénaturer la Sécurité sociale par des ordonnances. La CGT engage une campagne de pétitions et de motions. Pour notre région, elles sont remises le 27 juillet, en pleine période de vacances, à la sous-préfecture.

     A partir du 23 février 1968, la jeunesse estudiantine, particulièrement en région parisienne, aspire à secouer le carcan dans lequel la contraint une politique éducative d'un autre âge. Concernant les jeunes travailleurs, la CGT se propose d'en rassembler 100 000 à Pantin, lors d'un festival pour porter jugement contre le pouvoir et le patronat, du 17 au 19 mai; l'Union locale du Mantois y déléguera une dizaine de représentants. 41% des jeunes gens, 77, 9% des jeunes filles entrent dans la production avec un niveau inférieur au CAP. Les abattements d'âge frappent la jeunesse travailleuse. Les employeurs refusent d'embaucher les jeunes hommes avant qu'ils n'aient fait leur service militaire. Et dès leur retour, il n'y a aucune obligation d'être réembauchés pour ceux travaillant avant de partir sous les drapeaux.

     En ce premier trimestre, des débrayages courent dans tout le Mantois: dans le bâtiment, aux PTT, à Dunlop, chez Aviac, comme à Renault-Flins. Les cheminots viennent de finir leur énième grève majoritaire et un responsable local écrit:"le feu couve, mais l'étincelle qui fait jaillir la braise, n'a pas encore fusé". Le personnel des Banques de Mantes vient de se constituer en section syndicale.

     Peut-être pour éteindre ce feu qui couve, le pouvoir gaulliste autorise, pour la première fois depuis 1954, une manifestation du 1er mai dans Paris. La CGT, seule, y rassemble plus de 100 000 manifestants.

     Du 3 au 9 mai, la répression policière contre des manifestations estudiantines provoquent des blessés et des arrestations (500 blessés et 422 arrestations pour la seule soirée du 6 mai). Le Quartier latin est quadrillé par la police. Le 10 mai, les policiers s'acharnent plus encore sur les étudiants: c'est la "nuit des barricades" et une terrible répression. La CGT propose alors une grève générale de 24h pour le 13 mai, à laquelle la CFDT s'associe, et le 12 au soir, FO et la FEN.

     Plusieurs cars partent de la Bourse du travail pour la manifestation parisienne sous la seule banderole de l'Union locale CGT. Il y a aussi un car de la FEN, mais la majorité des enseignants sont au PCF. Le Paris-Mantes note l'absence des socialistes, de la CFDT et du PSU.

     Or, partout en France, la grève est majoritaire et les manifestations sont un grand succès. Le communiqué de la CGT du 16 mai 1968 affirme que ceci exprime "avec une grande force le mécontentement général et traduit la volonté de changement... Travailleurs, travailleuses, à l'appel de vos syndicats, agissez  sans attendre. Rassemblez-vous sur les lieux de travail; participez à la détermination des revendications et des modalités de l'action dans vos entreprises, vos branches d'industrie et vos régions. La CGT prendra toutes ses responsabilités nécessaires à l'organisation de votre action pour en assurer la coordination et lui donner l'ampleur et la puissance qui s'impose".

     Georges Pompidou, le premier ministre du général de Gaulle, s'explique à la télévision et sur les radios, croyant à un mouvement passager de mauvaise humeur. Sa déclaration achevée, la Fédération CGT des cheminots publie un communiqué pour entamer l'action, dans l'unité, afin que le gouvernement discute valablement des revendications.

     Le lendemain, à 15h, la CGT des cheminots de Mantes appelle à la grève illimitée. Le site ferroviaire va être occupé par les grévistes. Le même jour, les 2 plus grandes entreprises du Mantois, Sulzer et la Cellophane, débrayent à leur tour et occupent leurs locaux.

     Mai-juin 1968 va débuter dans la région comme en France.

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      Les acquis de mai-juin 1968:

     L'ampleur de cette grève et ses conséquences dans la société française sont sans précédant. Et l'on tente toujours d'en rabaisser sa portée, comme de détruire les espoirs que ces évènements ont pu faire naître. Déjà, le 12 juin 1968, pour répondre aux premiers détracteurs, Henri Krasucki ironisait dans la Vie Ouvrière: "Ainsi, 9 à 10 millions de salariés se seraient mis en grève tout bêtement, contre leur gré, dans l'ignorance que le gouvernement s'apprêtait gentiment à  leur donner 12 à 13% d'augmentation..."

     En effet, une soixantaine d'avantages sociaux ont été imposés au pouvoir gaulliste et au patronat:

     - augmentation du SMIC en région parisienne: 35%, en zone 2: 37%.

     - augmentation du salaire minimum agricole: 50%.

     - augmentation moyenne des salaires: 15 à 20%.

     - suppression des abattements d'âge minorant la rémunération des jeunes travailleurs.

     - amélioration des conventions collectives.

     - quatrième semaine de congés payés actée en 1969.

     - reconnaissance des syndicats dans l'entreprise et libre circulation de leurs informations.

     - engagement sur un retour rapide aux 40h hebdomadaires.

     - amélioration des conditions de travail, d'hygiène et de sécurité.

     - paiement en partie ou en totalité dans certaines entreprises des journées de grève.

     - accords de branches ou d'entreprises.

     Il reste cependant que les ordonnances gaullistes sur la Sécurité sociale ( partition en branches et gestion- 50% patronat, 50% ensemble des organisations syndicales) n'ont pas reçu un front syndical commun pour les gommer. FO, CFTC et CGC ne les désavouent pas, conscients que gérer avec les employeurs écarterait la CGT syndicat majoritaire. Quant à la CFDT, dans sa logique gauchisante de cette époque, revenir à une Sécu issue du Conseil National de la Résistance n'est pas du tout sa préoccupation.

 

     Après mai-juin 1968:

   Cette désunion syndicale qui apparaît, apporte de l'eau au moulin du pouvoir qui dissout l'Assemblée nationale. Et les partis de gauche sont aussi à hue et à dia. Sans doute, aussi, la CGT a-t-elle mal perçu les aspirations d'une jeunesse et sa sincère aspiration à changer la société, sans trop s'arrêter sur un véritable projet politique. A la veille des élections législatives, elle s'adresse aux électeurs: "L'abrogation des ordonnances est devenue un programme électoral. C'est dans l'isoloir que chaque assuré social jugera s'il veut retrouver une Sécurité sociale prête à le garantir pleinement. Chacun doit faire en sorte que tous ceux qui ont voté les pleins pouvoirs et permis l'application des ordonnances soient battues à plate couture les 23 et 30 juin prochain."  Allusion à ceux qui avaient porté au pouvoir le général de Gaulle en 1958 et à la droite. 

   Il n'en reste pas moins qu'un raz de marée gaulliste engloutit l'Assempblée nationale. Le député communiste du Mantois est battu (21 182 voix contre 19 880). Les socialistes passent de 91 députés à 57, le PCF de 73 élus à 34, le PSU de 4 députés à 0.

     Beaucoup pense alors que la citadelle gaulliste est verrouillée pour fort longtemps. Or, le 27 avril 1969, le général de Gaulle est battu lors de son référendum sur la régionalisation. il démissionne sur-le-champ de la présidence de la République. Mais ceci est une toute autre histoire.