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     En 1833, dans sa Statistique de l’arrondissement de Mantes, Armand Cassan, qui en est le sous-préfet, nous délivre une étude sur le Mantois, cette région située au nord-ouest de la Seine-et-Oise.

     A l’aube de la révolution industrielle, le Mantois est encore principalement agricole. Il ressemble toujours à la description faite par Charles Oudiette en 1817, dans son Dictionnaire sur les environs de Paris : un terroir fait de bois et de forêts, de labours et de prairies, de vignes dont le vin est excellent, et qui commercialise des légumes dont des petits pois. Il est donc normal que le sous-préfet accorde une place singulière au monde agricole dans ses travaux.

     Pourtant, il semble ignorer la faiblesse et les disparités des salaires versés à ses travailleurs, qu’ils soient tâcherons, journaliers ou gagés à l’année d’une Saint-Jean à l’autre. Monsieur le sous-préfet se félicite que les salaires se soient accrus « du double environ depuis 1789 ». Certes, mais le prix du pain représente 88% des dépenses d’une famille, laquelle travaille du lever au coucher du soleil, sauf pour les fêtes religieuses, chômées et donc pas rémunérées, ce qui diminue d’autant son revenu.

     Autre considération d’Armand Cassan, l’espérance de vie des 14 067 habitants de son arrondissement, celle des hommes particulièrement. Il dénombre parmi ceux-ci 552 septuagénaires, 130 octogénaires et 9 nonagénaires. Il écrit « qu’on trouve peu de vieillards  parmi les tisserands, les batteurs en grange, les garçons meuniers et les plâtriers » et « beaucoup chez les jardiniers, les valets de charrue et les bergers. » Mais comparons les chiffres avancés par le sous-préfet à la démographie masculine ; en tout état de cause, la mortalité n’est pas rien, passée soixante ans, parmi cette population en général.

     Enfin, monsieur le sous-préfet de Mantes s’en va aux champs respirer le bon air pur de la campagne. Il épouse la vision des physiocrates, cette philosophie libérale du XVIIIe siècle. Armand Cassan ne décrit-il pas le fermier, « heureux de voir chaque jour ses produits se multiplier grâce à l’essor de nouvelles méthodes ; il arrosera sans regret son champ de sueur quotidienne, qui est le premier engrais de sa ferme ». En vérité, gagner son pain « à la sueur de son front » est plutôt le lot séculier des ouvriers agricoles et des très petits paysans à cette époque. Et le sous-préfet se plaît à rêver qu’un valet de charrue « doit avoir de la force, de la probité, de l’activité, de la sobriété, de l’adresse, et de la douceur, s’il est possible » pour être bien rémunéré. Mêmes qualités recherchées pour le berger, car en effet « rien n’est plus précieux pour le cultivateur qu’un berger intelligent, instruit et zélé ». Et Armand Cassan de poursuivre que ce berger-là « eût reçu quelque notion de l’art vétérinaire ; il serait bon aussi qu’il pût ajouter au soin de son troupeau une occupation manuelle qui serait pour lui une distraction utile, propre à le détourner d’une rêverie qui ne se dirige pas toujours vers le bien. »

     La réalité est toute autre. Ainsi, la veillée n’est pas un simple moment de récupération après sa journée de travail. Effectivement, en plus de se parler ou d’écouter, les hommes réparent et entretiennent les outils, tandis que leurs épouses et leur progéniture filent. A cela se greffent des logements inconfortables et souvent insalubres, les maladies, l’analphabétisme et une croissance démographique, de quoi démultiplier la pauvreté structurelle des petites gens de la campagne, ceux que les registres paroissiaux dénommaient brassiers ou travailleurs de terre, à défaut de les dire damnés de cette même terre.