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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Dans Libération, Marie Piquemal a rencontré l'anthropologue Marc Bordigoni à ce sujet et auteur du livre Gitans, Tsiganes, Roms... Idées reçues sur le monde du voyage1

Le député-maire Gilles Bourdouleix (UDI) a décroché le pompon dans les dérapages verbaux sur les gens du voyage. Alors qu’un campement venait de s’installer dimanche dans sa commune de 50 000 habitants, il a affirmé que «Hitler n’en avait peut-être pas tué assez». Le maire de Nice Christian Estrosi avait lancé quelques semaines plus tôt la saison estivale, mettant dans le même panier gens du voyage et Roms entretenant ainsi les amalgames. Retour à la réalité.

«Les gens du voyage, comme les Roms, ce sont des gitans»

Marc Bordigoni : «Les gens du voyage n’ont rien à voir avec des Roms, ce sont deux populations complètement différentes. Les premiers sont des citoyens français, parfois depuis des générations. A l’inverse, les Roms sont des migrants étrangers, ils viennent de Roumanie, de Bulgarie ou de l’ex-Yougoslavie. Ils arrivent souvent en France sans argent et vivent dans des squats ou des bidonvilles. Ils ont de grandes difficultés à trouver un travail légalement, à cause des mesures transitoires en vigueur jusqu’au 31 décembre. Contrairement aux autres citoyens européens, les Roumains et Bulgares doivent en effet obtenir une autorisation préalable de travail. Certains quittent leur cabanes faites de palettes pour vivre dans des caravanes un peu plus confortables... Ce qui entretient l’amalgame avec les gens du voyage alors que ces deux populations n’ont strictement rien à voir.»

«Les gens du voyage vivent sur la route»

M.B : «Pas tous. La plupart sont nomades en effet, mais d’autres sont sédentarisés et vivent dans des maisons ou des appartements à l’année. Par définition, il est impossible d’avoir des statistiques précises puisqu’en France, on ne comptabilise pas les citoyens en fonction de leur appartenance à telle ou telle communauté. Dans un rapport publié fin 2012, la Cour des comptes donnait des estimations datant de 1990. Donc, au pifomètre, il y aurait entre 220 000 et 250 000 gens du voyage : 70 000 serait itinérants, 65 000 semi-itinérants et 105 000 sédentaires.»

«Les gens du voyage sont l’appellation politiquement correcte de gitans, manouches et bohémiens»

M.B : «Le terme "gens du voyage" est une construction juridique relativement récente. On englobe sous le même terme plusieurs sous-groupes qui ont des traditions différentes: les personnes de culture manouche, les Yéniches qui ont leur propre langue et les descendants des familles paysannes françaises qui étaient sur les routes au XIXe siècle. Le seul point commun véritable entre tous, c’est le statut juridique particulier auquel ils sont soumis. La première loi date de 1912 et visait les "nomades". Elle a été remplacée par un autre texte en 1969, toujours en vigueur mais qu’il est question d’abroger aujourd’hui. On parlait alors de "personne sans résidence, ni domicile fixe". Mais très vite, le terme de SDF a changé de sens pour prendre celui qu’on lui connaît aujourd’hui. Dans les années 1980, est apparu dans les circulaires le terme "gens du voyage", repris ensuite dans la loi 2000 de Louis Besson sur les aires d’accueil.

«Pendant longtemps, les principaux intéressés ne se reconnaissaient pas du tout dans cette appellation, d’autant que tous ne sont pas itinérants. Du coup, on parle aussi de "gens du voyage sédentarisés", ce qui n’a pas vraiment de sens. Tous sont soumis à la même réglementation, notamment l’obligation d’avoir un "livret de circulation", demandé systématiquement pour entrer dans une aire d’accueil. Ce sont des citoyens français à part entière mais ils ont beaucoup de mal à avoir une carte d’identité, certaines préfectures rendant les démarches difficiles.»

«Ils sont riches, regardez leurs caravanes»

M.B : «Les situations sont très variées. Il y a des commerçants aisés, qui ont fait fortune en vendant des tapis par exemple. Ils sont très contrôlés et sont parfaitement en règle. D’autres font les foires, les marchés... L’été, ils se déplacent là où vont leurs clients : les touristes. L’argent qu’ils gagnent, ils l’investissent en partie dans leur lieu d’habitation, que ce soit une caravane ou un fourgon, qui est souvent aussi leur outil de travail. Cela ne paraît pas choquant qu’ils y mettent le prix pour un peu de confort. Parmi les itinérants, il y a aussi ceux qui travaillent dans les champs. Ils font des travaux agricoles, et se déplacent au fil des saisons. La cueillette des cerises en Provence, le maïs en Auvergne, les vendages en Bourgogne... C’est une main d’œuvre invisible, très utile et dont personne ne se plaint. Du coup, on n’en parle jamais. Enfin, certains n’ont pas du tout d’argent, vivent parfois dans le dénuement le plus total, se livrant parfois à des actes de chapardage. C’est d’eux dont on entend le plus parler.»

«Tous des voleurs»

M.B : «On est en plein dans les rumeurs et ouï-dire, certains maires vous répondront que "oui, les actes d’incivilités augmentent quand ils arrivent". Aucune donnée statistique ne le prouve. Et puis, tout dépend de quoi on parle : si c’est des amendes de stationnement, oui, cela augmente depuis que Sarkozy a créé le délit de stationnement illicite. Le fantasme de "bohémien, voleurs de poules et d’enfants" ne date pas d’aujourd’hui. J’ai entendu aussi des grands-mères manouches dire que les "gadgos volent les enfants" pour qu’ils restent près d’elles. Cela a toujours existé. En revanche, une chose a changé : avant, ils se déplaçaient de village en village par petits groupes. Ils trouvaient des terrains vagues où s’installer un peu partout. Depuis une quinzaine d’années, sur la côte méditerranéenne, le moindre bout de terrain est désormais occupé. La loi de 2000 oblige les communes à prévoir des aires d’accueil mais elle n’est pas appliquée. Cela participe à la montée des tensions. En réaction, les gens du voyage se déplacent en plus grand groupe, les mouvements évangéliques ont pris un nouvel essor. C'est une manière pour cette communauté de retrouver de la force et une dignité publique.»

1. Gitans, Tsiganes, Roms... Idées reçues sur le monde du voyage, paru aux éditions Le cavalier bleu en mai 2013.

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