La CGT et la 2e Guerre mondiale
En 1936, la CGT impose des conquêtes sociales d'importance au patronat (congés payés, généralisation des conventions collectives ou élection de délégués du personnel). Par la grève et l'occupation des entreprises, elle impose aussi une augmentation généralisée des salaires. Force syndicale de premier plan depuis sa réunification, elle contreint le gouvernement Front populaire du socialiste Léon Blum d'ouvrir des négociations avec le patronat, ce qui se soldera par les accords Matignon de juin 1936. On l'oublie, mais les principaux acquis sociaux de cet accord ne figuraient dans aucun programme des partis réunis dans le Front populaire.
Une première fracture apparaît dans la CGT, dès que Léon Blum annonce une "pause sociale" dans le programme du Front populaire, entre partisans du gouvernement et courant révolutionnaire.
La guerre civile d'Espagne, qui débute en juillet 1936, avec le coup d'état factieux contre la république de Front populaire élue par les urnes, ouvre une seconde brèche dans l'unité de la CGT. Même si elle prend fait et cause pour les républicains espagnols, beaucoup de dirigeants de la confédération adoptent la ligne gouvernementale dite de "non-intervention", à l'inverse du courant révolutionnaire autour de l'ex-CGTU. En 1922 et jusqu'en 1936, la CGT s'était scindée entre "confédérés" gardant la maison et "unitaires" qui créent la CGTU.
Les accords de Munich, signés par la France et la Grande-Bretagne, livrant la Tcécoslovaquie à Hitler, vont être soutenus par tous les partis politiques français, sauf le PCF et les anciens unitaires au sein de la CGT avec leur journal la Vie Ouvrière. Une tendance pacifiste, autour de René Belin, apparaît dans la confédération, elle est farouchement anticommuniste et antisoviétique.
Une CGT fracturée en trois
Le gouvernement Daladier accélère la remise en cause des acquis sociaux de 1936 et le groupe "Syndicats" de René Belin l'approuve. Le congrès de la CGT, à Nantes du 14 au 17 septembre 1938, est l'occasion d'un déchaînement anticommuniste et antisoviétique de la part de celui-ci, sans que les majoritaire autour de Léon Jouhaux, secrétaire général de la confédération, s'y opposent franchement. D'ailleurs, René Belin va être élu n°2 de la CGT. "Syndicats" va continuer à défendre les accords de Munich, à freiner toute action contre le gouvernement. Il lance à la tribune du congrès son mot d'ordre: "plutôt la servitude que la guerre". A cette même époque, le patronat a préféré Hitler au Front populaire. L'histoire va retenir bientôt la collaboration du patronat avec l'économie de guerre nazie et l'entrée au gouvernement de Vichy de René Belin comme ministre du Travail et de la Production industrielle. Dans la CGT, la Vie Ouvrière et les anciens unitaires sont les seuls à revendiquer le retour aux valeurs progressistes du Front populaire.
1939 est à marquer d'une pierre noire dans la vie de la confédération. La grève générale du 30 novembre 1938 contre les décrets-lois Daladier n'a pas été un succès, à cause des ferments de division qui ont vu le jour au congrès de Nantes. De nombreux syndicalistes ont été sanctionnés. En février, les députés, dont la majorité est Front populaire en 1936, repoussent un amnistie des sanctionnés. En mars, Hitler envahit la Tchécoslovaquie suite aux accords de Munich. Les négociations d'un traité militaire entre la France, la Grande-Bretagne et l'Union soviétique s'enlisent à cause de la volonté occidentale de ne pas les faire aboutir. Le Japon attaque l'URSS sur ses frontières de l'Est.
Le 23 août 1939, est annoncé un pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'Union soviétique.
C'est alors un déchaînement anticommuniste d'une autre nature qu'au congrès confédéral de Nantes en 1938. Cela devient le trait dominant du
"patriotisme" dans tout le pays.
Dans la CGT, René Belin veut des têtes:"Nous disons qu'il n'est pas possible que les chefs communistes demeurent à la tête du mouvement syndical." Il est entendu dans la confédération. Exemple, dans le Mantois, les cheminots déposent de nouveaux statuts à la mairie de Mantes-la-Jolie, ils ont exclu de leurs rangs sa direction membre du PCF. Le 25 septembre 1939, la direction de la CGT, par 24 voix pour, 5 contre et 2 abstentions, exclut les communistes de la confédération qui "n'ont pas voulu ou pas pu condamner" le pacte germano-soviétique. Le 26 septembre, le gouvernement dissout le PCF et 620 syndicats ou structures syndicales à direction communiste, dont l'Union locale CGT de la région mantaise. Dans cette région, Les conseillers prud'hommes communistes sont déchus de leur mandat. Le 3 septembre, la guerre avait été déclarée et les députés communistes avaient voté les crédits exceptionnels pour cette guerre.
"Le mouvement syndical se libère et s'assainit", écrit Le Peuple, l'organe officiel de la CGT.
Le 7 octobre 1939, Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, signe avec la Confédération générale du patronat français les accords dits du Majectic, siège du ministère de l'Armement, sur "une collaboration confiante" entre patrons, travailleurs et gouvernement, que contresigne la CFTC. Le 24 mai 1940, un autre accord est signé avec le patronat pour une "collaboration constante et loyale".
Mais la Vie Ouvrière, interdite par le gouvernement en septembre 1939, reparaît clandestinement.
Nombre de syndicalistes ex-unitaires avaient été contraints de se réfugier dans une existence souterraine. ils ont eu raison.
Après la débâcle des armées françaises et l'armistice du 22 juin 1940, Pétain, par un coup d'état et avec l'aval de la Chambre des députés dont les communistes ont été chassés (569 voix pour les pleins pouvoirs et 80 contre), renverse la République. Le 10 juillet, il devient "Chef" de l'Etat français, avec Pierre Laval comme premier ministre et René Belin comme ministre.
Le 5 octobre, une rafle s'exerce en région parisienne et ailleurs en zone occupée par la police française contre des dirigeants de l'ex-CGTU ou du PCF. Pétain fait réquisitionner le sanatorium d'Aincourt, en Seine-et-Oise, pour interner ceux de la région parisienne et les faire garder par des gendarmes français. Beaucoup d'entre eux, désignés comme otages par le régime de Vichy, périront devant les pelotons d'exécution ou dans l'enfer concentrationnaire nazi.
Le 24 octobre, c'est la rencontre à Montoire entre Hitler et Pétain. Celui-ci, dans une émission radio-diffusée entre dans "la voie de la collaboration" avec l'Allemagne Hitlérienne..
Quant aux syndicalistes et aux courants qu'ils représentaient dans la CGT d'avant-guerre, ils connaîtront des itinéraires différents. Certains débutent la Résistance contre l'occupant et Vichy; d'autres finissent par les rejoindre; d'autres se perdret dans les ornières de la trahison.
Sous l'Occupation, en mai 1941, des contacts s'établissent entre les partisans de Léon Jouhaux et la tendance communiste. La position des premiers a sensiblement évolué. Si certains, comme Robert Bothereau (futur dirigeant de FO avec Léon Jouhaux en 1947), défendent une "présence" dans les organes "syndicaux" de Vichy, d'autres rejettent la Charte du Travail que veut imposer Pétain et Belin.
Mais c'est l'arrestation de Léon Jouhaux par Vichy, le 26 septembre 1942, puis sa déportation par les Allemands, qui vont précipiter la réunification de la CGT, le 17 avril 1943, dans un petit pavillon du Perreux.
Mais auparavant la CGT "légale" de Léon Jouhaux a beaucoup oscillé.
La CGT de Jouhaux dans la tourmente et la trahison
Les ex-unitaires exclus, la CGT dirigée par Léon Jouhaux va connaître le temps des épreuves et du déshonneur face au
régime de Vichy.
René Belin démissionne du bureau confédéral le 9 mai 1940 et accepte, le 14 juillet, le ministère de la Production industrielle et du Travail de la part du Chef de l'Etat français. Vont le suivre les dirigeants de "Syndicats" qui représentait près d'un tiers des délégués au congrès confédéral de Nantes en 1938. Leur verbe anticapitaliste va servir d'alibi à un position ultra-collaborationniste, leur anticommunisme les mènera en droite ligne à la trahison.
Quelques uns qui vont adhérer à l'Etat Français de Pétain:
ALBERTINI (Georges) : Secrétaire des Jeunesses Socialistes; membre
de la SFIO et de la CGT. Membre de l’Institut Supérieur ouvrier, du Comité de Vigilance des Intellectuels antifascistes. Secrétaire général du RNP, parti collaborationniste de Marcel Déat.
Directeur de la revue Est et Ouest. Il devient un des membres de l'entourage de Georges Pompidou. Il meurt en 1983.
BELIN (René) : Secrétaire général adjoint de la CGT. Ministre du Travail du maréchal Pétain. Un des signataires de la loi sur le statut des Juifs du 3 octobre 1940. Après
la guerre, il fonde le "Front syndicaliste" puis "La Revue syndicaliste", proche de FO. Il est élu maire d'une commune de Seine-et-Marne de 1958 à 1965. Il meurt en
1977.
BERNIER (Jean) : Collabore au journal Le Libertaire. Proche des surréalistes. Fondateur,
au sein de la CGT du cercle syndicaliste Lutte des classes. Se rallie au maréchal Pétain. Est nommé en 1942 secrétaire de l'Organisation des Prisonniers de Guerre de la zone occupée.
Collabore à des revues nationalistes françaises. Meurt en 1975.
BIDEGARAY (Marcel) : Secrétaire Général de la Fédération Nationale des Travailleurs des Chemins
de Fer (CGT). Membre de la SFIO. Trésorier du COSI (Comité Ouvrier de Secours Immédiat), ouvertement collaborationniste. Exécuté par la résistance communiste au camp d'internement de Bidache (64)
le 20 décembre 1944
CHEVENARD (née VIOLET, Jeanne) : Déléguée à la propagande de la CGT parmi les femmes. Féministe. Adepte de la collaboration franco-allemande. Membre du bureau du
journal Au Travail. Exécutée par la Résistance le 29 juin 1944.
COGNET (Paul) : Dirigeant de la Fédération CGT de l'habillement. Membre de la milice socialiste d'autodéfense antifasciste. Adhère en 1936 au Parti Communiste
Internationaliste d'obédience trotskyste. Un des concepteurs de la Charte du Travail de René Belin.
CORDIER (Henri) : Dirigeant de la Fédération du bâtiment CGT. Membre de la SFIO. Gère l'immeuble
confédéral CGT de la rue d'Amsterdam à Paris, de 1940 à 1944. Un des concepteurs de la Charte du Travail de René Belin.
COURRIÈRE (Émile) : Secrétaire de la Fédération postale de la CGT. Chef du secrétariat
particulier de René Belin, ministre du Travail.
DAUPHIN-MEUNIER (Achille) : Economiste. Appartient au bureau d'études de la CGT en 1938-1939.
Collaborateur du quotidien Aujourd'hui. Crée la faculté Libre de Droit et Sciences Economiques (FACO) à la fin des années 1960.
DOOGHE (Charles) : Cadre du Syndicat des employés (CGT). Cadre du RNP - DEAT.
DUMOULIN (Georges) : SFIO. Secrétaire général Ud du Nord CGT. Franc-maçon. Un des dirigeants du RNP, dirigeant de sa filiale ouvrière, le
Centre Syndicaliste de Propagande (CSP).
FROIDEVAL (Raymond) : Secrétaire du syndicat CGT des serruriers de la Seine. Spécialiste de
l'enseignement professionnel. Membre du cabinet de René Belin, ministre du Travail, en 1944-1942 Fondateur du journal Le Front Syndicaliste.
GITTON Marcel (GIROUX, dit) Secrétaire confédéral de la CGT. Secrétaire du
parti Communiste, député communiste de la Seine. Fondateur du Bloc Ouvrier et Paysan, puis en 1941, collabore au Cri du Peuple, organe du PPF Exécuté par la Résistance
communiste.
HAMARD (Fernand) : Dirigeant des Jeunesses communistes. Rédacteur à L'Humanité.
Secrétaire de la Fédération CGT des Techniciens. Membre du Front Social du Travail. Rédacteur à L'Atelier et à La France Socialiste.
LEFEVRE (Robert) : Secrétaire de l'Union Départementale CGT de la Seine En 1944, président national des amis du journal Au Travail.
Exclu du mouvement syndical.
LORRIOT (Gabriel) : Secrétaire général CGT des Ports et Docks Comité de direction du journal
L'Atelier.
MASBATIN (Armand) : Secrétaire de l'Union CGT des syndicats de la Haute-Vienne. Membre du Conseil National du gouvernement de Vichy. Collabore au journal Au
Travail. Exclus à vie de toute organisation syndicale.
MESNARD (René) : Socialiste dès 1916, syndicaliste CGT. Membre du RNP. Dirige le journal L'Atelier. Créateur du Centre Syndicaliste de Propagande, puis du Front
Social du Travail. Président du COSI. Se réfugie en Allemagne. Est tué par un avion allié.
MILLION (Francis) : Directeur du quotidien cégétiste Le Peuple jusqu'en 1936. Secrétaire
général à la Main d'Oeuvre et aux Assurances sociales du Maréchal Pétain.
SILLY (Roland) : Secrétaire de la section CGT des techniciens. Membre du parti Socialiste SFIO.
Un des dirigeants du RNP. Chef des Jeunesses Nationales Populaires.
VIGNE (Pierre) : Secrétaire de Fédération CGT des mineurs. Collabore au journal La France au Travail et à L'Atelier.
|
|
Léon Jouhaux et les siens ne s'engagent pas en de tels chemins. Ils pérégrinent dans les flots de l'exode de Paris à Toulouse. Le 20 juillet 1940, ils tiennent dans cette ville un Conseil confédéral national. Mais ce parlement de la CGT ne rassemble que 20 fédérations et 29 Unions départementales. Leur souci majeur est de préserver le syndicalisme dans les rouages du régime de Vichy. Pour cela, ils abrogent l'article 1 des statuts confédéraux prônant la lutte des classes et instituent une "Communauté française du travail" réformiste et adepte de la collaboration avec le patronat.
Compromission inutile, Pétain, le 16 août 1940, promulgue la loi supprimant les structures interprofessionnelles ouvrières et patronales, prélude à la dissolution de la CGT.
Le 26 de ce même mois, à Sète, La CGT abandonne son idée de Communauté française du travail, mais essaye toujours de réfomer l'Etat français. "Malgré les contraintes actuelles, le mouvement syndicaliste ne peut pas mourir" affirme-t-elle et nomme Louis Saillant comme représentant de la CGT à Paris, en zone occupée.
En septembre 1940, la CGT se réunit en zone libre et, pressentant sa dissolution, décide de la maintenir au grand jour sous la forme d'un Groupe d'études et d'informations syndicales.
Le 9 novembre, Vichy dissout la CGT, la CFTC et les organisations patronales. Pour ces dernières, ce n'est qu'un leurre. Elles réapparaissent immédiatement sous l'étiquette "Comités d'Organisation" et s'engagent dans la collaboration avec l'Etat français et l'éconoimie de guerre nazie.
Le 15 novembre, se constitue en zone occupée le Groupes d'études et d'informations syndicales (CEES). Il publie un manifeste paraphé par 9 militants de la CGT et 3 de la CFTC. Il s'oppose frontalement à l'idéologie de Vichy: "Le syndicalisme français ne peut admettre entre les personnes de distinctions fondées sur la Race, la Religion, la Naissance, les Opinions ou l'argent." Il prône l'indépendance du syndicalisme, mais tout en acceptant une sorte de cohabitation avec le corporatisme érigé par Vichy: "Il n'y a pas à choisir entre le syndicalisme et le corporatisme, les deux sont également nécessaires." Et dans leurs différents écrits, n'apparaîtront jamais les mots: action, lutte, oppression ou résistance. En décembre 1942, ils ne pensent pas "faire meilleure oeuvre que d'entretenir l'idée syndicale traditionnelle".
Cependant, certains militants confédérés, comme Louis Saillant, Charles Pineau et Albert Gazier, participent à la fondation du mouvement de résistance "Libération-Nord" en zone occupée.
Léon Jouhaux est placé en résidence surveillée à Cahors par Vichy, puis arrêté le 26 novembre 1942, lors de l'occupation de la zone dite libre par les Allemands. Le 1er mars 1943, il est déporté à Buchenwald dans un baraquement chauffé en périphérie du camp de concentration, avec Léon Blum, Edouard Daladier et le général Gamelin. Le 1er mai 1943, il est transféré au château d'Itter, dans le Tyrol autrichien, dépendant du camp de concentration de Dachau et aux conditions de détention sans commune mesure avec celui-ci. Il obtient d'ailleurs que sa secrétaire et future compagne le rejoigne le 18 juin 1940. Ils sont libérés le 5 mai 1945 par des éléments de la 103e division américaine.
Le 11 octobre 1941, paraît au Journal Officiel de l'Etat français, la Charte du Travail. Elle a pour ambition de regrouper dans une même structure les travailleurs et le patronat, depuis l'entreprise jusqu'au plan national. Basée sur la collaboration de classes, elle institue un syndicalisme unique, interdit les grèves et réduit les organisations ouvrières, que le régime de Vichy conserve, dans un rôle de chambre d'enregistrement des directives patronales.
Auparavant, à Paris, le 17 mai 1941, à l'initiative de Benoît Frachon dans la clandestinité depuis 1939, une rencontre a lieu entre d'anciens unitaires et d'anciens confédérés. Les premiers souhaitent que la CGT se réunifie pour lutter contre l'occupant et le régime de Vichy. En août 1942, Raymond Sémat, ex-dirigeant unitaire, informe Louis Saillant que Benoît Frachon souhaite une réunion avec Léon Jouhaux à Cahors où il se trouve en résidence surveillée. Cette rencontre a lieu en septembre 1942. Le 11 novembre 1942, la zone dite libre est occupée par l'armée allemande et le régime de Vichy reste en place. Léon Jouhaux est arrêté par la police française quelques jours plus tard, puis déporté en mars 1943.
Les accords du Perreux, le 17 avril 1943, en banlieue parisienne, scellent la réunification de la CGT dans la Résistance. Y sont présents, Louis Saillant et Robert Bothereau pour les ex-confédérés, Henri Raynaud et André Tollet pour les ex-unitaires.
Fiche de police
Cette marche vers l'unification a été difficile. L'histoire montre qu'elle provient plus de la volonté de ceux qui avaient été exclus de la confédération en septembre 1939, que de la tendance Jouhaux. Elle eut lieu aussi parce que certains parmi cette dernière s'engagèrent, à titre personnel, fortement dans un mouvement de résistance. Enfin, Vichy lançant des arrestations contre des dirigeants confédérés, dont Léon Jouhaux, accéléra le processus.
S'unir pour combattre
Les unitaires de Benoît Frachon n'ont aucune arrière-pensée en soutenant dès l'Occupation la réunification de la CGT. Le mot d'ordre "S'unir pour combattre" s'affiche dans les premières Vie Ouvrière clandestines. En décembre 1942, la Vie ouvrière déclare "vouloir regrouper les forces ouvrières pour la lutte libératrice et la liberté contre les envahisseurs et leurs larbins". Mais le journal clandestin, le 1er août 1943 s'adresse aussi aux syndicalistes chrétiens "qui ne sont pas les derniers à mener le combat héroïque contre l'ennemi". De ce fait, est carrément proposée une réunion organique de la CGT et de la CFTC. La centrale chrétienne la refusera sous l'Occupation ainsi qu'à la Libération. C'est là un marqueur important dans l'histoire du syndicalisme français et de sa division présente et à venir.
Cependant, la réunification de la CGT et les combats unitaire avec la CFTC vont renforcer le poids du mouvement syndical dans la conduite des luttes populaires. Outre les sabotages dans les entreprises, des grèves témoignent de l'efficacité de cette guerre intérieure contre l'économie nazie: les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais en octobre 1943 et ceux de la région de Saint-Etienne le mois suivant.
En décembre, la CGT appelle au "sabotage systématique de la production de guerre nazie et à la lutte armée contre l'envahisseur", notamment en créant "dans les entreprises, les villes et villages, leurs groupes de milices patriotiques".
Pour autant, si la CGT retrouve son unité par les accords du Perreux, est minimisée la place que tiennent les unitaires depuis le début dans la Résistance. En effet, le bureau confédéral clandestin va comprendre 5 membres de la tendance Jouhaux et 3 de la tendance Frachon. Mais "l'unité pour le combat et pour vaincre l'ennemi" est une constante dans l'esprit des unitaires.
Marche vers l'unification de la CGT difficile, mais aussi arrières-pensées à Londres de de Gaulle et parmi certains de la résistance intérieure. On y constate, avec déplaisir, le poids dominant du mouvement ouvrier communiste dans la CGT, comme le nombre de leurs participants dans les actes de résistance.
Enfin, les syndicalistes, qui avaient animé le Comité d'Etudes Économiques et Sociales (voir chapitres précédents), se retrouvant dans la CGT réunifiée, éditent un journal Résistance ouvrière. En décembre 1945, la publication Force ouvrière, autour de Léon Jouhaux, prend le relais de ce journal fondé dans la clandestinité. C'est également là un marqueur important dans la division du syndicalisme CGT en 1947.
La réunification de la CGT est un moment important dans l'histoire de la Résistance. Désormais, la guerre intérieure dans les entreprises au service de l'économie nazie et des armées hitlériennes va prendre de multiples formes: distributions de tracts, manifestations, grèves, sabotages, formation de milices patriotiques. Avec la Résistance d'obédience communiste, ce sont deux mouvements organisés qui vont s'impliquer dans les combats sur tout le territoire national, au contraire des autres formations souvent inorganisées et pas suffisamment coordonnées. Le 1er octobre 1943, dans la Vie Ouvrière clandestine, la CGT indique: "Jusqu'à présent, la presque totalité des grèves a été préparée et dirigée par les comités populaires qui suppléaient à la carence des syndicats. Aujourd'hui que l'unité se reconstruit, que les syndicats prennent un nouvel essor, c'est le devoir des syndicats de prendre résolument la tête de ces luttes".
La CGT et le Conseil National de la Résistance (CNR)
Le 1er janvier 1942, le général de Gaulle avait chargé Jean Moulin d'unifier tous les mouvements de résistance en France. En juin de cette année, il met en place un Comité d'experts chargé de penser à un projet politique pour l'après-guerre. S'appuyant notamment sur l'organisation de la résistance communiste et sur la force de la CGT, Jean Moulin fonde le CNR, le 27 mai 1943, au premier étage du 48 rue du Four à Paris.
Participent à cette réunion constitutive, outre Jean Moulin et ses collaborateurs Pierre Meunier et Robert Chambeiron:
- Pierre Villon du Front national de la résistance créé par le PCF
- Roger Coquoin pour Ceux de la Libération
- Jacques Lecomte-Boinet pour Ceux de la résistance
- Charles Laurent pour Libération-Nord
- Pascal Copeau pour Libération-Sud
- Jacques-Henri Simon pour Organisation civile et militaire
- Claude Bourdet pour Combat
- Eugène Claudius-Petit pour Franc-Tireur
- Louis Saillant pour la CGT
- Gaston Tessier pour la CFTC
- André Mercier pour le PCF
- André Le Trocquet pour la SFIO
- Marc Rucart pour les Radicaux
- Georges Bidault pour les Démocrates chrétiens
- Joseph Laniel pour l'Alliance démocratique
- Jacques Debû-Bridel pour la Fédération républicaine catholique
Jean Moulin
Le CNR a deux objectifs, combattre et vaincre l'ennemi et préparer politiquement les lendemains de la libération du pays. Malheureusement, le 21 juin 1943, Jean Moulin, président du CNR, dénoncé, est arrêté. Plusieurs fois torturé par la gestapo et Klaus Barbie, il ne parle pas. Il succombe durant son transfert en allemagne, le 8 juillet. Georges Bidault lui succède à la présidence du CNR.
En juillet 1943, fort de son Comité d'experts, le général de Gaulle, par son envoyé en France Emile Laffon, transmet au CNR un programme politique qui va être rejeté. De son côté, la CGT a aussi pensé à un programme politique. Elle le publie en août 1943. Il reprend les propositions développées par les unitaires dès les premiers jours de l'Occupation. Louis Saillant, du bureau confédéral de la CGT, va s'en faire le porte-parole au sein du CNR.
Pour des raisons de sécurité, de septembre 1943 à septembre 1944, il n'y a plus de réunion plénière du CNR, seul son bureau l'administre. Il est composé de Georges Bidault, son président, Louis Saillant, Pascal Copeau, Maxime Blocq-Mascart (en remplacement de Jacques Henri-Simon) et Pierre Villon.
Après plusieurs mois de tractations, un consensus est trouvé entre toutes les parties. Les talents de diplomate de Louis Saillant et la force de son syndicat n'y ont pas été pour rien. Ce programme est adopté à l'unanimté par le CNR le 15 mars 1944. Il s'inspire en grande partie du document publié par la direction de la CGT en août 1943.
Le 11 septembre 1944, Louis Saillant devient le président du Conseil National de la Résistance. Le programme politique est présenté par lui-même, le 20 octobre 1944, lors d'un grand meeting public à Paris.
Si Charles de Gaulle est l'homme du 18 juin 1940, celui qui a demandé à Jean Moulin d'unifier les mouvements de résistance et le chef du gouvernement provisoire à la Libération, il n'est pas celui du programme du Conseil National de la Résistance. D'ailleurs, lors de son discours à la France, le 12 septembre 1944 au Palais de Chaillot, il se garde bien de se référer au CNR.
C'est aussi là un marqueur important dans l'histoire sociale que va connaître notre pays par la suite, avec les attaques de la droite et du patronat, y compris par le général de Gaulle, contre le programme politique du CNR.
L'histoire sociale retient aussi, qu'au moment de la scission organisée par Léon Jouhaux pour créer Force Ouvrière, Louis Saillant, pourtant ex-dirigeant "confédéré", ne quitte pas le bureau confédéral et reste fidèle à la CGT.
Sources: Le syndicalisme dans la France occupée. Ouvrage collectif. Presses universitaires de Rennes. 2008. Notamment Action légale et illégale chez les ex-unitaires de la CGT et Chronologie syndicale (septembre 1939-août 1944) par André Narritsens. Esquisse d'une histoire de la CGT. 1965. Jean Bruhat, Marc Piolot. Centre confédéral d'éducation ouvrière. CGT approches historiques. 1988. Centre confédéral d'éducation ouvrière et Institut CGT d'histoire sociale. Aincourt un camp oublié. Roger Colombier. Le Temps des Cerises. 2009.