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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Par Danielle Bleitrach

 

 

Que signifient exactement les mises en garde contre les risques de Guerre civile en Syrie ?

01JUIN 2012

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Quand tous les jours tombent des proclamations alarmistes sur ce qui se passe en Syrie, quand l’opinion est chauffée à blanc sur l’ignominie du dictateur et que dans le même temps il est proclamé les dangers d’une guerre civile dont le pays ne se releverait pas et qui aurait des conséquences incalculables sur l’équilibre régional, on peut se méfier. S’agit-il d’une prise de conscience ou une campagne en faveur de l’intervention militaire est-elle en marche ? Prise de conscience de ce qu’il a été  fait de la Syrie une poudrière où s’accumulent les armes et des milices armées suspectes?   Ou au contraire les menaces de guerre civile seraient-elles agitées pour torpiller les efforts diplomatiques  en particulier ceux de Kofi Annan?


Tout n’a-t-il pas été fait pour qu’il y ait la guerre civile ?

Oui il y a des risques de guerre civile parce que le régime de Bachar al Assad dispose non seulement du soutien de l’armée mais des forces dans la population. Il est dominé par la minorité alaouite de Syrie, une branche du chiisme, et soutenu par d’autres minorités du pays, notamment chrétienne, qui craignent de voir la majorité sunnite mettre en place un pouvoir sans partage – voire dominé par les islamistes proches d’Al Qaïda.Assad peut en outre compter sur le soutien de l’Iran chiite et de ses alliés libanais du Hezbollah. C’est dire que la mèche est allumée et que les risques de contagion sont innombrables.

Cette situation est dûe à la politique menée par le régime de Bachar el Assad. Corruption, clientélisme ont soulevé la population, la jeunesse en particulier. “Par son refus de s’engager dans des réformes sérieuses et un dialogue avec l’opposition, par son usage indiscriminé de la violence contre des manifestations qui, pour l’essentiel, restaient pacifiques, par un usage généralisé de la torture, il a contribué à la montée de la violence, au passage d’une partie de l’opposition à la lutte armée ; il a, d’un même mouvement, favorisé les ingérences qu’il prétendait vouloir combattre (lire « Jours de tourmente en Syrie », Le Monde diplomatique, août 2011).

Mais elle a été trés sciemment provoquée autant par les puissances occidentales que par des forces régionales à la fois en rivalité entre elles comme la Turquie et l’Arabie Saoudite et le Qatar qui déversent sur le pays des armes et des “combattants”. L’objectif serait au meilleur des cas d’éviter une intervention militaire en Iran en l’isolant de ses alliés ou au pire de préparer une intervention contre ce dernier, ce qui peut nous mener au pire. Aucun des protagonistes  qu’il s’agisse des Saoudiens ou des occidentaux n’a en vue la démocratie ou le bonheur du peuple syrien et ils le prouvent tous les jours en conduisant le pays vers la guerre civile et de fait en s’inscrivant a contrario des solutions diplomatiques.

La confusion est totale et même si l’on ne peut que condamner l’attitude du régime syrien, on finit par avoir des doutes sur qui a intérêt à ce que se multiplient les massacres de civils et entretiennent l’idée que l’on ne peut pas aboutir par la voie diplomatique et en particulier le plan  de Kofi Annan alors même que la Russie et Pekin continuent à soutenir celui-ci.  En visite à Hammamet (Tunisie), le chef de la diplomatie chinoise, Yang Jiechi, a déclaré que Pékin gardait sa confiance dans le plan du diplomate ghanéen. “Nous continuons à soutenir les efforts de Kofi Annan (…) Nous savions depuis le début que ce ne serait pas un chemin de roses“, a-t-il reconnu.


Est-ce que la menace de guerre civile n’est pas un prétexte à intervention ?

Selon l’agence reuters, à propos des massacres de Houla,  Ban Ki-moon le secrétaire général de l’ONU a déclaré jeudi 31 mai 2012 en visite à Istanbul, a estimé qu’un autre massacre de ce type plongerait la Syrie dans une guerre civile totale “dont elle ne pourrait jamais se relever“.

Dans ce contexte qui se dégrade chaque jour, une fois de plus des intérêts convergents se développent du moins pour un temps entre les saoudiens, les qataris et Israél autant qu’avec les Etats-Unis et les puissances occidentales autour de l’étranglement iranien.  En Israël, le général Yair Golan, responsable de la défense de la frontière nord de l’Etat hébreu, a estimé que la Syrie courait à sa perte et risquait à terme de devenir un vaste dépôt d’armes où les militants islamistes pourront se servir.   “La Syrie est plongée dans une guerre civile qui va conduire cet Etat à sa perte. C’est un terreau pour le terrorisme“, a-t-il dit. “Le risque que tout cela représente pour Israël se précise peu à peu. C’est pour nous un défi énorme à relever”, a-t-il dit, ajoutant que les forces de défense israéliennes se tenaient prêtes à toute éventualité.

En Syrie même nous avons une opposition divisée et qui est liée à ces puissances régionales et à leur stratégie. ainsi le chef de l’Armée syrienne libre (ASL) qui parlait à partir de la Turquie, principale force combattante de l’opposition, a exhorté l’émissaire international à reconnaître l’échec de son plan de paix. Si Annan reconnaissait l’échec de son plan, les insurgés se sentiraient libres de reprendre les armes, a affirmé le colonel Riad al Asaad, commandant de l’ASL basé en Turquie.  Qui est l’ASL  ? Un reportage du quotidien libanais Daily Star (23 février) sur l’Armée syrienne libre (ASL) confirme deux éléments que la presse occulte souvent : cette armée a des bases au Liban (et d’ailleurs aussi en Turquie) ; elle n’hésite pas aux représailles confessionnelles, en tuant des alaouites par vengeance (« FSA soldier in Lebanon discloses tactics »). De même, des combattants irakiens se sont joints aux insurgés syriens (lire Tim Arango et Duraid Adnan, « For Iraqis, Aid to Rebels in Syria Repays a Debt », The New York Times, 12 février 2012), y compris des membres d’Al-Qaida, ce qu’a confirmé le département d’Etat américain.

Alors qu’il existe des forces démocratiques qui appuient la mission de Kofi Annan et proposent un processus de paix par la négociation. Comme le note dans l’humanité du 31 juillet Pierre Barbancey : ” Le Bloc national démocratique syrien (BNDS), autre groupe d’opposition, lance une campagne pour la libération des détenus politiques dans les prisons du régime syrien et demande l’application du plan Annan, notamment l’acheminement des aides humanitaires pour les zones sinistrées et permettre aux médias internationaux d’entrer librement dans le pays, et souhaite le lancement «d’un processus politique de négociation entre le pouvoir et l’opposition et permettre au pays d’accéder à la démocratie d’une façon pacifique».

Des forces antagoniques jouent pourtant aux apprentis sorciers et contribuent à la guerre civile et l’échec du plan de paix en visant une recomposition de la région contre en priorité l’Iran mais pas seulement parce qu’il y a aussi le contrôle des masses arabes entrées dans un processus de rébellion autant que la main mise sur les ressources énergétiques, nous sommes bien dans un contexte militariste de lutte pour la main mise et contre les peuples. L’enjeu est autant  le contrôle des masses arabes et les réserves énergétiques que celui de l’affaiblissement du régime iranien. Et sur ce dernier objectif s’entendent les puissances occidentales, les israéliens, la Turquie et les saoudiens et qataris…

Les Etats-Unis et l’occident pour une intervention en leur lieu et place

Les Etats-Unis n’interviendront pas directement à la veille des élections présidentielles ou du moins on peut l’espérer mais ils previennent déjà ouvertement que certaines puissances seront prêtes à le faire: Pour la représentante permanente des Etats-Unis à l’Onu, Susan Rice, le Conseil de sécurité doit agir sans attendre pour convaincre le gouvernement de Damas de mettre fin à la répression du mouvement insurrectionnel.   Sinon, a-t-elle averti, certains pays pourraient décider d’intervenir sans l’aval des Nations unies.   “En cas d’escalade de la violence”, a poursuivi Susan Rice, “le conflit va s’étendre et s’intensifier (…), des pays de la région y seront impliqués et les violences prendront de plus en plus la forme d’un affrontement inter-religieux.” “Nous aurons alors une crise majeure, pas seulement en Syrie mais dans toute la région”, a-t-elle poursuivi. Pour Susan Rice, la crise syrienne risque de contaminer toute la région, “avec des armes arrivant de tous côtés”, ce qui pourrait inciter certaines puissances mondiales à prendre des initiatives unilatérales.

La simple description de ces événements et prises de position doit nous inciter à la plus grande prudence. Il est clair qu’aucun des acteurs en présence ne veut le bien du peuple syrien et que tous les discours vertueux sur la question doivent être appréciés en regard de l’expérience d’autres interventions et de ce qui est réecherché en fait. Quels que soient les dangers bien réels de guerre civile nous devons défendre la réalité : si la voie diplomatique est trés difficile, ne serait-ce que parce que chacun s’ingénie à la torpiller, elle demeure la seule solution, tout autre choix aurait des conséquences encore plus catastrophiques.

La France est en train de prendre un rôle de pointe trés dangereux dans cette affaire (1)

Danielle Bleitrach

(1) on se surprend à ricaner non sans amertume quand on entend Copé mettre en garde Hollande contre les dépassements du budget de la Défense. Alors que l’expédition libyenne a été de ce point de vue un véritable gouffre dont personne n’a songé à demander des comptes à Sarkozy…

Note de ma pomme:Danielle Bleitrach fut maître de conférence à l'Université de Provence. Sociologue, elle fut aussi dirigeante nationale du Pcf, qu'elle quitta en 2003, tout en se considérant communiste. Auparavant, elle démissionna de la direction du Pcf, pensant que les conditions d'une participation gouvernementale n'étaient pas réunies en 1997.

 

 

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