Pétain et les prisonniers de guerre "indigènes"
Au moment où fascistes et réactionnaires de tous poils s’apprêtent à commémorer, comme à chaque 11 novembre, celui qu’ils dénomment toujours maréchal Pétain, voici le sort méconnu des prisonniers dits « indigènes » détenus en France sous le régime collaborationniste du chef de l’État français.
Après la défaite française de 1940, plus de 70 000 soldats coloniaux d’Afrique du Nord, d’Afrique noire, de Madagascar et d’Asie sont faits prisonniers par les Allemands. La plupart d’entre eux sont emprisonnés dans des Fronstalags en France, le Reich hitlérien ne désirant pas de « races impures » sur son sol. Malgré tout, quelques uns, comme l'ensemble des prisonniers de guerre français, se retrouvent outre-Rhin dans les stalags en allemagne. Mais les nazis envisagent d’y séparer les « races », puis du jour au lendemain de les rapatrier en France, sauf quelques centaines de Nord-Africains, triés sur le volet pour en faire des instruments de propagande contre les Britanniques.
troupes françaises de tirailleurs sénégalais, prisonniers des Allemands en 1940
En avril 1941, ils sont plus de 69 000 prisonniers en France, répartis dans 22 Frontstalags : 43 973 Nord-Africains, 15 777 « Sénégalais » -en réalité Africains de toutes origines-, 3 888 Malgaches, 2 317 Indochinois. 380 Martiniquais et 2 718 classés « sans race » par le régime de Pétain.
En novembre 1941, à cause des combats opposant en Syrie les Forces françaises libres du général de Gaulle aux troupes vichystes, les Allemands libèrent plus de 10 000 soldats Nord-Africains pour aller renforcer ces dernières.
En décembre 1941, presque tous les Nord-Africains ont rejoint leurs pays respectifs, après un passage en « zone libre » où leur est administrée une propagande en faveur de la Révolution nationale du maréchal Pétain. Les Malgaches et les indochinois partent également en zone sud administrée par Vichy, mais y demeurent, faute de liaisons maritimes. Toutefois, les nazis ont prélevé une part de Nords-Africains, de Malgaches et d’Indochinois (les plus valides) pour les faire travailler dans les usines d’armement françaises, le charbonnage ou la construction du Mur de l’Atlantique. Or, leurs conditions d’hygiène font que la tuberculose décime des baraquements entiers.
Les soldats noirs restent donc les seuls à demeurer en captivité sous la garde des Allemands. Le travail ne leur est pas épargné et leur régime s’avère très dur. De plus, le ravitaillement fourni par Vichy est aléatoire, comme l’attestent des courriers de préfets évoquant des prisonniers de guerre « affamés, vêtus de haillons et sans chaussures ».
Malgré la présence des gardiens allemands et les directives de Vichy interdisant tout contact, la population locale les ravitaille tant bien que mal. Sont aussi assurées des filières d’évasions, comme à Rennes, à Saumur ou à Remiremont, que des Français payent de leur vie. Mais, lorsqu’ils ne sont pas rattrapés par les Allemands et passés en conseil de guerre, les évadés rejoignent la Résistance. Dans la Nièvre, le réseau Homère, dirigé par le sous-lieutenant Molveau, dénombre 600 évadés originaires d’outre-mer.
En janvier 1943. L’Allemagne est en difficulté sur le terrain militaire ; elle a besoin de soldats sur tous les fronts et fait appel aux sentinelles des Frontstalags.
Le 7 janvier, le commandement militaire allemand en France exprime son intention de faire garder les prisonniers noirs par des Français et « il faudrait que le gouvernement français s’engageât également à se saisir, avec ses propres moyens, des prisonniers noirs qui s’échapperaient de leurs chantiers et à les remettre aux mains du Commandant en chef des Forces militaires en France. »
La réponse du gouvernement français est datée 11 janvier 1943. L’ambassadeur de France, secrétaire d’État délégué du gouvernement français dans les territoires occupés, écrit : « J’ai porté cette communication à la connaissance du Chef du Gouvernement et je suis chargé de vous faire savoir que le Gouvernement français est entièrement d’accord pour l’emploi de ces prisonniers ; il est disposé, d’autre part, à en faire assurer la surveillance. Le Ministre des Colonies, prié de se mettre en rapport avec moi à ce sujet par M. Le Chef du Gouvernement, doit me fournir des précisions sur les modalités que je ne manquerai pas de porter à votre connaissance dès que je les aurai reçues. »
L’acceptation d’une telle demande par le maréchal Pétain, le chef du gouvernement Laval et par le secrétaire d’État aux Colonies représente certainement un fait unique dans l’histoire militaire contemporaine. Une ignominie de plus à mettre à ce régime de franche collaboration avec l’occupant nazi.
Lors de la débâcle allemande, les prisonniers noirs, lorsqu’ils n’ont pas été libérés par la Résistance, sont transférés outre-Rhin.
En novembre 1944, ceux qui sont restés en France sont rapatriés à la caserne de Thiaroye, proche de Dakar. Ils y réclament leur dû mais l’administration coloniale française ne répond pas à leurs demandes. Ils refusent alors d’obéir aux ordres et l’administration a recourt à la force le 1er décembre. Le bilan officiel dénombre 35 morts et 35 blessés.
Source : Les prisonniers de guerre coloniaux durant l’Occupation en France. Armelle Mabon. Institut Régional du Travail Social de Bretagne. Lorient.